Pratiques émancipatrices

Conseil communautaire Solidarités Villeray

Compte-rendu de lecture

mercredi 24 novembre 2010

Présenté par : Andrés Fontecilla

 

« Pratiques émancipatrices : actualités de Paulo Freire »

Françoise Garibay, Michel Séguier. Éditions Syllepse, Paris, 2009. 275 p.

En reprenant l’héritage théorique des travaux de Paolo Freire dans les domaines de l’alphabétisation et l’éducation populaire, les auteurs tentent de retracer les apports de cette théorie de «  l’apprentissage dans la pratique » dans les expériences actuelles d’éducation populaire menées en France, en Amérique Latine (Brésil et Mexique) ainsi qu’en Afrique.

Première partie : L’exposition des théories de Paolo Freire

 Tout d’abord, la première partie est consacrée à l’exposition des théories de Paolo Freire qui cherche non seulement à alphabétiser des larges secteurs de la société brésilienne, mais en ce faisant, en leur donnant  les outils pour leur « émancipation » de leur situation d’oppression.

 Le concept d’émancipation parcourt l’ensemble des pratiques recensées par les auteurs :

« L’émancipation : l’étymologie de ce terme nous interroge déjà sur sa richesse, sa complexité et sa fécondité : le latin emancipare, qui signifie affranchir un esclave du droit de vente, venant de « e » privatif et manucapare (prendre en main), l’achat des esclaves se faisait en les prenant par la main. » p.63

Primo Lévi (1987) : « L’image si souvent multipliée de l’esclave brisant ses lourdes chaînes est rhétorique. Ses liens sont toujours brisés par des compagnons dont les liens sont plus lâches». P.66

Pour Paolo Freire : alphabétiser, enseigner, apprendre, n’est ni un processus neutre, dénoué de sens, ni un mécanisme vide :

« En témoignant de sa foi infatigable en la dignité humaine, il dénonce l’oppression et énonce très clairement que pour lui : aucune pédagogie n’est neutre. Elle est en soi une arme de domestication, voire de déshumanisation, soit un outil d’émancipation ». p. 15

« Dans la Pédagogie de l’autonomie (...) On y trouve une confirmation des valeurs qui informent toute conscientisation visant l’émancipation individuelle et la transformation sociale : (...) il n’y a pas d’enseignement sans apprentissage; enseigner n’est pas transférer la connaissance, et enfin, tandis qu’enseigner est une spécificité humaine, celle-ci reste toujours profondément  idéologique, politique et éthique. » p. 24

Il va encore plus loin en affirmant que l’éducation tel que nous la pratiquons traditionnellement est destinée à préserver les structures de domination qui perpétuent un système social fondé sur l’oppression de larges secteurs de la société :

« Il est naïf d’insister sur le fait que l’éducation est un moyen pour transformer la réalité » (Freire, 1975) ». p. 25

La société change l’éducation, pas le contraire : « j’insiste sur l’impossibilité de considérer le système éducatif comme instrument de transformation sociale ». p.25

Ceci établi, à travers l’alphabétisation, Freire cherchait à donner des outils pur transformer la société par le bas, à travers l’acquisition d’instruments de pensée critique. Dans ce sens, pour Freire il est nettement plus important de savoir écrire que lire. 

Une des caractéristiques des opprimés est leur silence ou encore une expression de charité qui masque leur situation d’opprimés. Le silence, le non-dire perpétue l’oppression. Dans ce sens, savoir lire ne constitue qu’un moyen supplémentaire de consommer l’idéologie de la domination alors que les appauvris doivent apprendre à dire, dans leurs propres mots leur situation d’oppression. Le dire passe nécessairement par le savoir écrire, c’est dans l’écriture que le pouvoir s’installe, dans la capacité de codifier dans des mots écrits la réalité vécue par les opprimés.

« Articulant son travail au sein des réformes agraires et en alphabétisation, Freire publie, en 1967, Educaçao como pratica da libertade, dont la partie clé est la présentation de sa méthode : l’identification des mots générateurs, le décodage syllabique et thématique, et la construction d’une compréhension critique visant l’action et les transformations sociales. Dans un tel apprentissage, les apprenants sont censés devenir auteurs de leur lecture du monde, afin de devenir acteurs/écrivains de leur monde »  p. 20

« Il est plus important de savoir écrire que savoir lire. « C’est en devenant auteur, écrivain, que l’on commence à écrire le monde, on s »adresse au monde, on redresse le monde. Freire a raison de se méfier de tous les programmes contre l’illettrisme ou l’analphabétisme qui se contentent seulement d’aider les gens à lire. Ils risquent de former des individus qui savent « lire les instructions » : un tel projet éducatif d’alphabétisation est plutôt un projet politique d’apprivoisement ». p.29

L’éducation populaire doit impérativement chercher à « problématiser » la réalité. C’est à travers ce processus que les participants sont amenés à chercher, de façon critique, les causes et les solutions au problème considéré. Cela passe par l’action et celle-ci implique nécessairement la transformation de la société : (...)

« La seule motivation pour changer la réalité sociale, quelle que soit sa force ou sa puissance, n’était pas suffisant pour effectuer le changement souhaité. Autrement dit, la conscientisation sans action, comme la réflexion sans action, ne créent qu’une illusion de changement, et de cette manière renforcent le statu quo. » p.28

Dans la pratique d’une éducation populaire tournée vers l’émancipation, les formateurs/formatrices doivent éviter plusieurs  écueils :

« Cet apprentissage de l’oppression passe d’abord par ce qu’il appelle « la maladie de la narration », où l’éducateur atteint de cette maladie se donne la responsa ilité de remplir ses élèves, transformés en bouteilles vides, aves le contenu de sa narration ». p.25

Dans la conception traditionnelle il y a una dichotomie absolue entre l’enseignant et l’élève. C’est ce qu’il appelle « l’éducation bancaire ».

On doit donc transformer le rapport enseignant/élève pour plutôt instaurer un rapport apprenant/accompagnateur. Le formateur descend de son piédestal du Savoir, pour se mettre au même niveau que les apprenants en tant qu’accompagnateur. Il doit donner des outils pour que les apprenants expriment, systématisent de façon critique le monde qui les entoure.

Un autre écueil est celui de la « professionnalisation » de notre pratique de formation qui annule les nécessaires efforts de « réciprocité » qui doit marquer la pratique de l’éducation émancipatrice. Dans ce sens, ce sont les professionnels qui définissent les buts de la démarche et les individus opprimés sont convoqués à s’exprimer dans les limites établis par le formateur.  Il n’y a pas là de démarches émancipatrices puisque les individus sont encore et toujours confinés dans un rôle d’objets, étant amenés à de prononcer exclusivement sur les thèmes établis par les professionnels. La réciprocité de l’échange du savoir disparaît au profit d’un leadership charismatique qui parle au nom de, au lieu d’accompagner la prise de parole des agents concernés.

 

Deuxième partie : Des expériences en éducation populaire

Les auteurs,  à travers des séminaires universitaires, recensent différentes initiatives d’éducation populaire à travers le monde.  Il y a différents types : la capacitation, l’échange des savoirs, la recherche-action, la récupération de la mémoire collective, etc.

Dans l’ensemble de ces processus qui sont éloignés du modèle de base de l’alphabétisation, la démarche cherche à redonner aux individus et aux collectivités opprimées des savoirs qui les mènent vers une pratique émancipatrice. Redonner, parce que ces savoirs se trouvent enfouis et non explicités parce que dévalorisés par l’expérience de domination qui ne fait qu’affirmer un modèle d’acquisition des savoirs excluant.

Toutes ces pratiques partent de la base que chacun d’entre nous possède des savoirs. Il s’agit de les dire, de les formuler dans une démarche collective où tous et toutes expriment leur savoir.

La capacitation, dans ce sens, est un concept clé de la démarche de l’éducation populaire. Elle consiste par une méthode appropriée, au développement des capacités individuelles et collectives à travers un accompagnement du formateur qui se cantonne au rôle de conseiller qui reformule des hypothèses émancipatrices. Dans ce contexte, au lieu d’être des objets des pratiques des autres, les individus deviennent des sujets de leur propre histoire. Ils acquièrent des savoirs, le « légitimisent » et entreprennent des actions transformatrices fondées sur ces savoirs.

La recherche-action, méthodes particulièrement développées en milieu rural mexicain et brésilien, est une méthode utilisée dans une situation limite. Cela peut être l’extrême pauvreté, une situation d’exploitation, etc. Il est en réaction avec les méthodes traditionnelles de recherche où le chercheur construit un objet d’études, les autres et se place à distance pour les analyser comme des rats dans un laboratoire. Ensuite, il produit des conclusions où les collectivités étudiées n’ont aucune prise.

Dans la recherche-action, le chercheur se place d’emblée comme un participant de plus, définissant avec les gens constitués en « sujets », les problématiques à régler :

Quel est le problème auquel nous faisons face? Pourquoi entreprendre telle action? Comment et avec qui la conduire? Comment lui donner sens et signification?

Le formateur cherche donc à susciter une pensée globale et complexe sur les causes qui provoquent la situation limite; le problème. On récuse ainsi la fatalité qui affecte si souvent la culture des appauvris. On cherche à voir ce qui produit telle situation, dans toute sa complexité. Ensuite, à partir de la réalité immédiate des gens, on cherche des actions en mesure de transformer cette situation tout en lui donnant un sens voire, une signification. On construit ainsi un sujet collectif, ayant une histoire spécifique, des savoirs et des compétences.

Le partage des savoirs a beaucoup été utilisé en France et au Québec. Il s’agit de  réunir des gens et définir avec eux un ensemble de savoirs possédés ou non-possédés. Une fois les savoirs possédés schématisés et rendus aptes à être transférés, on rencontre d’autres groupes ayant fait la même expérience. Un marché est ainsi constitué : on se positionne en tant qu’agent qui offre des de savoirs tout en explicitant  des demandes de savoir. Les groupes sont ainsi amenés à échanger leurs savoirs selon les besoins de chaque groupe.

À travers l’analyse de différentes expériences d’éducation émancipatrice dans le monde, les auteurs démontrent la pertinence et l’actualité des principes de l’éducation populaire définie par Paolo Freire. Si ces pratiques ne concernent plus seulement l’alphabétisation, elles touchent une multitude de sujets définis par les gens concernés. L’éducation émancipatrice constitue donc un chantier toujours prometteur en terme de transformation sociale qui peut être utilisé aujourd’hui dans notre contexte local et régional. Le faisons-nous?

Trois cas sont soulevés dans le cas du Québec : l’expérience de l’entreprise d’insertion. P. 14

Pratique émancipatrices : Actualités de Paulo Freire

« Son but principal était l’alphabétisation et la démocratisation, mais les paysans et les réformistes politiques ne cherchaient pas simplement l’alphabétisation en soi, Leurs objectifs visaient clairement davantage des réformes économiques et industrielles, le droit à la liberté de réunion et d’association et surtout des réformes agraires concernant les latifundia (les grandes propriétés rurales). » p. 20

Pédagogie de l’espérance. P. 24

Solution? Pédagogie dialogique, soit une prise de parole.

« L’essence de ce dialogue est la prise de parole mais une parole à deux dimensions : l’action et la réflexion, articulée de façon telle qu’il n’y a pas de parole authentique sans praxis. Ainsi, prononcer une parole authentique et transformer le monde». 26 (sinon, bavardage)

Éducation problématisante : de cette façon, l’éducation problématisante devient un acte de questionnement et, par conséquent, un moyen de transformation de la vie quotidienne ». p.27

Problématisation : départ. Conscientisation : point d’arrivée.

Éducation bancaire fait des opprimés « des objets déshumanisés ». D’où besoin de nommer, dire.

Liberté : amour de l’autre, qui s’exprime par l’écoute.

Freire : « Pour moi, l’éducation pour la liberté implique l’organisation politique des opprimés pour qu’ils prennent le pouvoir ». p.32

« L’aliénation est en effet l’incapacité de l’homme d’écrire sa propre histoire et d’être acteur dans sa vie selon sa façon de voir les choses ». p. 33

Paulo Freire est reconnu pour avoir développé une méthode d’alphabétisation qui est efficace parce qu’elle porte en elle un potentiel qui permette de transformer la vie. Les apprenants passent, en une trentaine d’heures de formation par l’exploitation des 22-26 lettres de l’alphabet, d’une situation de vie strictement analphabètes à une situation où ils peuvent écrire, c’est-à-dire, dire en mots graphiques ce qu’ils ne pouvaient dire auparavant  qu’oralement » p. 34

Méthode

Quel est le problème?

Comment expliquez-vous cette situation? Comment vous la vivez?

Que faire? Avec quelles stratégies?

Voir juger agir (jésuites)

Manuel de l’animateur social

Saul Alinsky

Reveille for radicals (1946) (1973)

Agitateur, il l’est au sens où son radicalisme refuse les édulcorations de l’action sociale que recouvre souvent le travail communautaire de quartier. C’est ainsi qu’il reproche au travail communautaire d’enfermer son action dans une thérapie d’adaptation et d’oublier les aliénations, les rapports de force, les systèmes d’oppression qui affectent l’ensemble de la société. Aussi, cherche-T0-il constamment, au bénéfice des catégories sociales défavorisées, par une stratégie concrète, à faire changer le statut quo et les rapports de pouvoir, tout en demeurant dans la démocratie et dans la tradition pragmatique américaine.p. 10

Nous commençons un peu tard à comprendre que même si toutes les catégories sociales à faible revenu et si les noirs, les portoricains, les mexicains-américains, et les pauvres des Appalaches, rassemblées dans une coalition, cela ne suffira pas pour produire les changements fondamentaux nécessaires. Elles devraient ce que font toutes les organisations minoritaires, les petites nations, les syndicats ouvriers, les partis politiques, bref, tout ce que est minoritaire : se trouver des alliés.